DOC A TUNIS 2006

DOC A TUNIS 2006

  Tunis du 5 au 9 avril 2006 

VOIX DU REGARD, PREMIERE

A l'initiative de Ness El Fen, se lancent à Tunis ces nouvelles rencontres du documentaire, sous la belle appellation : Voix du regard. Car en matière de cinéma documentaire, il s'agit effectivement d'y regarder à deux fois, pour réfléchir le monde tel qu'il est mais sans clichés, et comme on voudrait qu'il devienne, mais sans illusions !
On demande souvent : quelle différence entre documentaire et reportage ? C'est que le documentaire ne se contente pas de constater un état des lieux, à la façon d'un huissier ou d'un géomètre, sous-entendant : "c'est comme ça, c'est Le réel mesdames et messieurs et on n'y peut rien". Non, le réel, le documentaire le montre d'un point de vue qui n'est pas de soumission mais d'analyse et de changement possible. Viser le possible à travers le réel, c'est prendre conscience de ce qui n'est pas ou plus ou pas encore, et qui ouvre sur la dimension, tant artistique que politique, de notre liberté de créer un jour nouveau. C'est pourquoi ces films ne se contentent pas de faire défiler le monde sous nos yeux, à la façon des actualités TV, ils nous regardent, ils nous interpellent.

De même, les voix qu'on y entend ne sont ni des micro-trottoirs échantillonnant l'opinion, ni les voix anonymes de speakers commentant par dessus les images, comme vues d'avion. Dans ces documentaires d'auteur, la voix est celle des images, au sens où elle réfléchit le regard de celui qui a fait ces images, ou bien donne corps aux paroles des filmés sur le terrain qui n'ont pas à être représentatives de quoi que ce soit, si ce n'est de leur propre expérience du monde. Et ces voix ne sont pas là pour meubler ni pour informer, elles sont là pour qu'on les entende dans leur questionnement et leur présence physique au monde que nous, spectateurs (d'accord ou pas), partageons avec elles.
Pour cette première édition de Voix du regard, notre sélection n'a pas recherché les derniers films à tout prix, les inédits, les raretés. Nous ne prétendons pas faire le festival de Cannes du documentaire, même si le soleil est aussi au rendez-vous sur les docs de Tunis. Il s'agit plutôt d'un panorama et d'un parcours initiatique à travers les diverses formes du documentaire contemporain, principalement d'Afrique et d'Europe. Notre programmation se déroule sur quatre écrans. L'écran du Colisée est consacré à une rétrospective du documentaire tunisien. Les deux écrans du 7ème Art et du Parnasse se partagent la sélection internationale. Et chaque jour à 11h, à Ness El Fen, aura lieu, pour les étudiants et les afficionados, une leçon de cinéma, c'est à dire la projection de documentaires tournant autour du cinéma, portant sur son histoire, ou tirant le portrait d'un grand cinéaste, ou racontant le "making of" d'un film. Parallèlement aura lieu un atelier de formation à l'écriture documentaire. Et une table-ronde, samedi 8 avril, posera la question de la création documentaire aujourd'hui, tant du point de vue esthétique que du point de vue politique. En clôture, dimanche 9 avril, nous aurons le plaisir de projeter en avant-première le film emblématique de Frédéric Mitterrand sur l'histoire récente de la Tunisie : "Printemps 56".
Nous voudrions faire de "Voix du regard" non pas un énième festival mais un lieu d'initiation, de rencontre et de réflexion à partir et autour du documentaire. Mais qu'a donc de si important et si imposant le documentaire, pour susciter à travers le monde tant de festivals, d'ateliers, de formations et de productions, en dépit d'un marché télé qui n'en veut guère ? Il y a, je crois, que le documentaire nous permet de jeter un regard nouveau sur le monde tel que les hommes le vivent et le fabriquent (bon an mal an), par sa capacité à ressaisir leur(s) histoire(s), à mettre en lumière leurs mobiles, leurs croyances, leurs aveuglements, dans la forme même de leurs gestes et de leurs paroles. Tourner ou voir un documentaire, c'est exercer son regard en le mettant à l'épreuve du monde et du regard des autres, éprouver sa sensibilité à travers celle d'autrui, et envisager, à travers l'écran où s'échangent nos regards, comme un espace public où pourrait se comprendre et se façonner un avenir commun.

François Niney, Directeur artistique

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